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Les mascarades Baoulé de Côte d'Ivoire


« L’extrême individualisme et la tolérance de la société baoulé signifient qu’il y a peu d’orthodoxie dans leur religion et qu’en conséquence chaque individu peut déterminer l’usage, la signification, la forme et finalement le style d’une œuvre d’art. » 

Vogel cité par Neyt 2014, 239

 


Les Baoulé

Au début du XXème siècle, l’intérêt des occidentaux pour l’art des Baoulé se développe et s’intensifie par la suite. L’esthétisme des Baoulé est proche des préférences des européens : plus naturalistes que d'autres créations africaines. Pourtant, vers la fin du XXème siècle, ces productions sont qualifiées de « monotones » par certains collectionneurs et férus d’art africain. Les Baoulé figurent parmi les populations africaines à avoir farouchement résisté aux colonisateurs. Dès lors, leurs traditions et coutumes ont persisté dans le temps, malgré des contacts étroits avec les occidentaux (Claessens et Danis 2016, 22-23).

 

Les Baoulé constituent une population formée au gré du temps et des contacts avec des groupes tels que les Mandé, les Sénoufo ou encore les Akan. Ces interactions ont joué un rôle non négligeable dans l’établissement des frontières ainsi que dans l’évolution des facteurs culturels et sociaux des différents groupes. Des apports transcontinentaux ont également influencé les Baoulé, à travers le commerce et la colonisation (Neyt 2014, 190).

Les Baoulé occupent le centre de la Côte d’Ivoire, ils sont installés sur la rive ouest du Bandama, à la limite entre savanes et forêts. Il s’agit d’un lieu de migration et d’échanges entre de nombreuses ethnies du pays. Akan d’origine, les Baoulé exercent une grande influence sur la vie politique et économique de la Côte d’Ivoire. Ils sont passés maîtres dans l’art de la sculpture, mais également du tissage et de l’orfèvrerie.


La société Baoulé est initialement divisée en trois castes :

  • les nobles (agwa) ;
  • les hommes libres ;

  • les esclaves, eux-mêmes divisés en deux catégories : les captifs de guerre (akwa) et les esclaves achetés (kanga) généralement venus du nord.

La ville de Sakassou est le siège du pouvoir royal (Neyt 2014, 190).

 

Les Baoulé sont proches géographiquement des Yaure, des Wan, des Guro, ou encore des Senoufo. Cette proximité entraîne de nombreux échanges tant sur le plan religieux qu’artistique. En Côte d’Ivoire, il est assez réducteur d’attribuer un style à une ethnie. Aujourd’hui encore, les échanges sont intenses et les productions artistiques ne cessent d’évoluer. En Occident, « l’ethnie » est considérée comme une « individualité, séparée, établie ». Il s’agit pourtant en réalité de groupes complexes et hétérogènes, qui ne cessent d’échanger avec leurs voisins (Boyer 1997, 23).

 


Le sculpteur Baoulé

Pour un sculpteur Baoulé, ce qui prime est l’esthétique et le caractère percutant de l’objet, d’une réelle beauté ou au contraire provoquant un profond effroi (Boyer, Girard, Rivière 1997, 13). Les réalisations des Baoulé tendent vers l’abstraction voire le réalisme. Les masques se distinguent, dans les arts africains, par leur expression et le contraste des couleurs.

Les sculpteurs Baoulé sont fréquemment amenés à travailler pour leurs voisins et, ainsi, d’autres cultures. Ils s’adaptent aux demandes du commanditaire de la pièce, qui a vu tel objet de telle forme et souhaite disposer d’un exemplaire similaire. Que ce soit chez les Baoulé, les Guro, les Yaure, les Wan ou encore les Senoufo, l’art est pluriel, il dépasse les frontières ethniques et donc les conceptions européennes. La société Baoulé accorde aux sculpteurs une grande liberté de création, l’originalité est ainsi admise, voire encouragée. Ce goût pour le renouvellement se distingue de la vision anhistorique parfois attribuée aux ethnies africaines. L’ouvrage de Neyt (2014) confirme la grande complexité des arts africains ainsi que son caractère évolutif, au même titre que tout autre courant ou champ artistique.

 


Les mascarades Baoulé

Parmi les masques les plus importants des Baoulé, nous retiendrons les masques dits portraits ndoma ainsi que les masques du goli. Toutefois, il peut également être fait mention des masques animaux, censés protéger le village, des masques heaumes, contre la sorcellerie, appelés bonu amuin. Par ailleurs, les statues du culte ancestral sont primordiales, figures de « conjoint céleste » ou « idéal », elles se rattachent au génie de la nature. Les Baoulé réalisent enfin toute une série d’objets usuels : plaques divinatoires, cuillères, tambours, portes, etc (Neyt 2014, 191).

 

Les mascarades du goli, apparaissant lors de funérailles importantes, sont toujours en usage chez les Baoulé. Ce rite a été emprunté aux Wan et rencontre des similitudes chez les Guro.

A la fois culte sacré et divertissement pour le public, le goli est associé à quatre paires de masques. La polychromie est très importante dans les réalisations des Baoulé. Les couleurs étaient, jusqu’en 1960, issues de pigments de plantes et sont désormais réalisées au moyen de peintures industrielles.

Chaque masque se distingue par sa couleur, le rouge étant associé à la femme et le noir à l’homme. Les masques sont, tantôt portés en heaume ou derrière la tête, tantôt sur le visage. Des perforations sont ajoutées afin de pouvoir y fixer des attaches.


Parmi ces masques :

  • les enfants, kplékplés (fig.1), dotés d’une surface plane, présentent des cornes, une bouche triangulaire et des yeux de forme ovale. Ils sont assimilés à la jeunesse et considérés comme les enfants du culte. Ce type de masque, vertical ou facial, présente des attributs à la fois humains et animaux. Ils sont ainsi appelés « anthropo-zoomorphes » et sont généralement portés à l’aide d’une sangle de fixation (Boutin 2021, 22) ;

Figure 1 - Masque Kplékplé

Collection : Lombrail & Teucquam - Arts Premiers

Dimensions : 38 cm

Matériaux : bois, pigments européens

Numéro d’inventaire Artkhade : VZD-158986



  • le masque-heaume goli glin (fig.2), le « père » ou l’ancêtre, une figure animale mythique, avec une tête de buffle et des cornes de gazelle ;

Figure 2 - Masque Baoulé

Collection : Zemanek-Münster, Würzburg

Dimensions : 63 cm

Matériaux : bois, pigments naturels

Numéro d’inventaire Artkhade : PGS-099772


  • l’épouse, kpwan (fig.3), présente une coiffure tressée ou en chignons ainsi que des scarifications rituelles. A travers ce masque, le village célèbre les adultes ayant fondé une famille. La physionomie du kpwan est très particulière : expression grave, concentrée, parfois paisible, ses traits sont symétriques. Il est censé apaiser le chaos du monde et apparaît à la tombée de la nuit ;

Figure 3 - Masque Baoulé Kpwan

Collection : Guy Mercier, Belgique

Dimensions : 35 cm

Matériaux : bois

Numéro d’inventaire Essentiel Galerie : 23952


  • enfin, le masque portrait ndoma (fig.4) représente généralement une jeune femme du village. De type naturaliste, le masque porte le nom de la personne qu’il représente. Les traits apaisés, ses yeux sont généralement clos. Le ndoma peut également évoquer un vieil homme du village, dont la bravoure est reconnue de tous (Boyer 2008, 27). Les masques faciaux ndoma apparaissent à la fin des célébrations. Le caractère réaliste et le raffinement de ces masques ont poussé les Européens à les qualifier de « portraits ». En effet, le nom du masque signifie « réplique », « copie », « double » (Neyt 2014, 199). Les masques ndoma sont réalisés afin que certains critères moraux soient identifiés. A titre d’exemple, les yeux mi-clos et la bouche pincée sont des signes de respect et de recueillement (Neyt 2014, 199).

 Figure 4 - Masque Baoulé

Collection : Alain de Monbrison, Paris

Dimensions : 26,5 cm

Matériaux : bois

Numéro d’inventaire Artkhade : EFG-156079



Usage des masques Baoulé

Ces types d’objets sont réalisés en bois dur ou léger et enduits de kaolin à certains endroits. Chaque masque est porté avec un habit particulier, formé à partir de filets de cordes, de raphia et de peau animale. Le danseur porte également des grelots aux chevilles. Le tout peut varier selon la région (Neyt 2014, 200).

 

Certaines similitudes sont identifiées entre les masques du goli et les masques kifwebe des Songye/Luba, de la République démocratique du Congo. En effet, lors de leur apparition à l’occasion de festivités, une langue méconnue est employée. C’est également le cas lors des mascarades du goli, où la langue wan est utilisée, inconnue des populations Baoulé (Neyt 2014, 213).

Notons toutefois deux éléments importants, relevés par Boyer (cité par Neyt 2014, 218). Tout d’abord, des masques Guro ou encore Djela ont souvent dansé dans le cadre de cérémonies Baoulé. Ensuite, des masques Yohouré ont été attribués, à défaut, aux Baoulé, et inversement. Ces éléments nous offrent des informations sur le caractère interchangeable des masques et un éclairage sur les grands échanges culturels et artistiques entre les ethnies. La Côte d’Ivoire est une plaque tournante de l’expression artistique, chaque population s’ouvre à l’autre et ne se limite pas au seul champ de ses propres canons et usages.

C’est en 1970 que le développement des mascarades chez les Baoulé est rapporté dans les écrits. Nous constatons ainsi qu’il s’agit d’œuvres relativement récentes. Bien que ces cérémonies aient été constatées dès le début du XXème siècle, elles n’ont pas disparu du fait du colonisateur, comme certains peuvent être amenés à le croire (Neyt 2014, 239).



Les évolutions plastiques

Boyer (2008, 153) évoque les récentes évolutions concernant les réalisations artistiques des Baoulé. A différents niveaux, les sculpteurs se réinventent : style, vêtements des statues, figures de boxeurs ou politiques… Par exemple, le masque « président » ou encore le masque « arc-en-ciel » sont des réalisations récentes, fruits d’influences contemporaines. L’idée selon laquelle l’art africain est figé et se situe hors du temps est essentiellement eurocentrée. Il s’agirait davantage d’une vision idéalisée de l’art, qui, selon Boyer (2008), n’existe plus qu’en Occident. L’art ethnographique contemporain est vivant, coloré, exempt de contraintes et constitue le produit de nombreux échanges ainsi que de la créativité du sculpteur lui-même. En outre, Boyer (2008, 155) estime que le regard des occidentaux sur les productions ivoiriennes est relativement tronqué. En effet, il explique que, pour certains acteurs du marché, un masque est considéré comme « authentique » (notion qui sera développée dans un prochain article) s’il a été porté. Or, certains masques ne le sont jamais : ils sont, en réalité, uniquement tenus à la main.




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